Blog-note

mardi 16 octobre 2012

L'inverse du piratage dont on parle beaucoup, le "copyfraud", plus grave, dont on ne parle jamais


D'après l'article de Pierre-Carl Langlais (Rue 89, lien)

Le copyfraud est la fausse déclaration de possession d’un contenu tombé dans le domaine public ; la prétention à lui imposer des restrictions d’utilisation illégales ; à le privatiser en arguant de la détention d’une copie ou d’une archive de ce contenu ; à prétexter d'un nouveau support* [daily motion, youtube] pour le diffuser à son bénéfice et en interdire le "copyright." [Jason Mazzone, juriste américain].

On n'en parle jamais et pourtant il est plus grave, ses victimes sont infiniment plus nombreuses et il est bien plus répandu que le viol d'un copyright. Ici, il ne s'agit pas de X volant Y en s'attribuant indument revenus et mérite de son œuvre -de toutes façons monnayée- mais de transformer un contenu gratuit accessible à tous -soit public, soit que les auteurs ont voulu tel*- en contenu payant, en le "réservant" et/ou en l'exploitant pour soi. Ce n'est donc pas un simple vol entre "vendeurs" de culture mais plutôt un biopiratage (lien). Cela s'apparente aussi à l'accaparement d'un bien commun de l'humanité (lien), à la main basse sur des lieux publics juteux (lien) historiques, panorama, bords de rivière etc.. par des riverains désireux de s'en réserver -vénalement ou non- le profit. Peu sanctionnés : parfois le saccage qui va souvent avec a même l'aval des Conseils Généraux inconscients du dommage, les filous prétendant les "valoriser" pour se prévaloir ensuite de l'interdiction illégale de ceux-ci au public (lien) donc s'en octroyer la possession. Nous connaissons tous des "copyfraudeurs" ayant rendu inaccessible un lieu voire un monument en saccageant puis barrant un chemin communal qui le dessert ou en l'enserrant illégalement dans leur terre de sorte que le seul accès passant désormais par leur propriété, ils puissent exiger du visiteur-promeneur un "péage" sous forme de clientélisme forcé -repas, œuvres d'art-.. lieux qui parfois sont ensuite définitivement fermés, l'ouverture étant conditionnée à celle des commerces souvent saisonniers ou de la résidence. Parfois sans qu'il soit question de profit financier mais seulement de confort perso.
 
Un bâtiment historique enclos par un privé, ici sans but vénal
 Notons que parfois ce type de manip est aussi le fait des Conseils généraux lorsqu'ils restaurent un bâtiment historique par le biais d'associations, l'endroit auparavant libre d'accès devenant alors semi-privé voire interdit à tout outsider.. à moins de "réserver" pour des "repas", "locations", spectacles ou autres prestations vénales non souhaitées (lien) mais rendues obligatoires si on veut visiter.

Or, si la chasse au copyright est un sport couru, le copyfraud lui, passe à l'as [et souvent ce sont de grands médias qui le pratiquent] .. en raison d'un vide juridique stupéfiant et révélateur : concrètement, le domaine public est moins protégé que le domaine privé et le délit de copyfraud ou attribution frauduleuse de droit d’auteur d'un contenu public ne donne lieu à aucune pénalité explicite. Cela débouche sur un effet pervers: si vous publiez à titre vénal un livre, une revue, un article dans un média ou si vous le vendez vous-même, vous serez protégé du piratage en justice... mais si vous choisissez de le diffuser gratuitement par quelque moyen que ce soit (net, fanzine etc..) vous serez sans défense si quelqu'un s'attribue indument votre contenu, en tire bénéfice, et de fait en restreint la diffusion à quelques happy few argentés.* Cela revient à contraindre un créateur de mettre ses œuvres sous copyright, c'est à dire à faire de la création un business obligatoire, et va à l'encontre du principe, sur le "net" notamment, de l'accès à tous, gratuitement, à des contenus, qui favorise la recherche et, justement, la création!* Car la loi reconnait avant tout le préjudice financier [or là rien n'a été "volé" puisque l’œuvre rapportait pas un sou à son créateur] : le principe est implicitement que ce qui est gratuit ne vaut rien. Ce devrait être au "consommateur" de porter plainte car il lui a été indument imposé de payer pour une prestation en fait gratuite.. mais qui le fait? Les spécialistes du copyfraud disposent en général de moyens de diffusion importants, pas les créateurs, et plutôt que de chercher des heures, un coup de carte bleue, c'est fait -en général les sommes exigées sont minimes, mais répétées, l'affaire est juteuse-. Notons que c'est seulement lorsqu'elles sont importantes qu'on a des procès, selon le même principe qu'un "vol" ne compte que s'il est conséquent, même si bout à bout il rapporte beaucoup. Encore un vide juridique français, les class actions n'existent pas.


Mais ce n'est pas tout. On en arrive parfois à des situations cocasses où un plaignant est obligé de se prévaloir d'un "copyright" (indu, peut-être, et risible, sûrement) c'est à dire d'un copyfraud, pour en éviter un autre ou ce qu'il allègue l'être!.. Autrement dit, un copyfraud peut en cacher un autre. Un cas épineux et burlesque..

 Une œuvre vieille de 17 000 ans peut-elle faire l'objet d'un copyfraud? Certainement, et même de plusieurs, à preuve ce procès ubuesque qui oppose le Conseil Général de Dordogne à un artiste ayant recopié et vendu une fresque de la grotte de Lascaux (la vache noire) à un musée espagnol... chacun se prévalant de.. ce qui semble bien constituer de part et d'autre un copyfraud! davantage de la part du C.G. peut-être que de l'artiste car la repro lui a coûté des mois de travail talentueux.. mais sans la réputation internationale de ses confrères d'il y a 17000 ans et de Lascaux pour laquelle le département -c'est à dire tous- a œuvré et payé, jamais acheteur ne lui eût commandité à ce prix**, une œuvre qui au fond n'est qu'une copie à l'identique de celle d'un ou de plusieurs Léonard cromagnons.  




 **A en juger par le quantum des astreintes -il a gagné en première instance- la somme doit être pharamineuse, d'où ce procès où chacun veut s'attribuer la part du gâteau. Un cas épineux. L'artiste a bien effectué une sorte de copyfraud et c'est en raison du vide juridique de la loi française que le CG de Dordogne a été contraint de se prévaloir d'un copyright tout aussi grotesque -donc d'un copyfraud- pour pouvoir aller en justice. Si le reproducteur avait par exemple effectué une copie à l'identique d'une œuvre libre de droit d'un artiste "reconnu" [mais récemment interdite de visite comme c'est le cas de toute la grotte de Lascaux] et, profitant de cette interdiction, l'eût vendue au prix (?) des œuvres de celui-ci, eût-il été condamné et au bénéfice de qui ? De la collectivité. Mais sans sanction. C'est ce qui a été jugé en première instance. (SUITE, lien)

 

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