Blog-note

dimanche 6 mars 2011

Chantal, paysanne de la Nièvre, une icône, et la suite dans le Midi

 A Billy-Chevannes, dans la Nièvre, une paysanne, Chantal, le dos au Mur... un scénar génial d'un Pagnol Nivernais


Il était une fois une frêle paysanne de 63 ans, faite, comme Juliette, "de la même matière que les rêves", mais des rêves de vie simple, tranquille, laborieuse... (lien avec quelques images sur l'affaire)


Chantal donc, qui exploite seule sa ferme d'une vingtaine de vaches. Vaches = crottin, vous y auriez pensé. Las, elle a pour habitude funeste de le mettre en tas dans son jardin, pas trop loin de l'étable, on la comprend  lorsqu'on la voit se coltiner les brouettes plusieurs fois par jour. La vie rurale, les paysans, la beauté des travaux et des jours, une femme d'exception, le féminisme, Henri Troyat etc.

Mais voilà qu'il advint que des parisisiens (je laisse) achetèrent ou héritèrent je ne sais, la bâtisse d'à côté dont ils firent une maison de vacances chic et choc. Parisisiens? pas tout à fait, elle est du pays, lui, non; mais riches, ce le semble.


Genre Balzac et Zola, je te vouvoie (mais pas toujours) et lorsqu'ils parlent aux journalistes (car vous allez voir qu'il en vint) ils se donnent mutuellement du Monsieur de Mur et Madame de Mur, au point que j'ai cru à un moment qu'elle était sa gouvernante ou lui son chauffeur-homme de main. Je "te" vouvoie mais ça n'empêche au cours d'une crise d'énervement que Monsieur arrache le journal local à Madame qui ne moufte pas, en lui criant d'un ton d'adjudant "appelle la rédaction immédiatement" ce qu'elle exécute à la seconde, une didascalie ratée dans le jeu du Seigneur du Crottin mais passons. (Un homme me fait ça, je le vire illico.)



Car le drame s'est noué il y a quelques années : les de Mur ont fait creuser une jolie piscine dans leur fond de jardin juste à côté du "tas"... Ne l'avaient-ils pas vu ? Aimaient-ils particulièrement la rurale fragrance ? N'avaient-ils d'autre choix  ? Il ne semble pas car ils ont un pré avec de fort beaux chevaux (ça va de soi) donc aussi du crottin, les chevaux de luxe ou pas, comme n'importe qui, comme "Célia", "font", hélas, et même les de Mur du reste, à peine si j'ose mais bon...

"La Terre" et "Germinal", on s'y croit : Mme Hennebaud et Françoise

Ils eussent donc pu, en somme faire "crottin commun" avec Chantal, les deux se mélangeant fort bien d'après les écolos pour donner un engrais remarquable... mais enfin ils ne copinent pas "crottin", c'est comme ça, question de lutte des classes, ils n'ont pas les mêmes valeurs et l'apport de cultures complémentaires fut-il seulement crotinesque, ce n'est pas leur truc...

D'où une requête dont on ne sait comment elle fut formulée à Chantal de déplacer son "tas" plus loin... Lorsqu'on voit, non pas le tas, de dimension au fond modeste, mais la bonne femme de 35 kilos, on comprend son refus indigné. Il semblerait aussi que Monsieur de Mur, grand Seigneur, ait proposé de s'en charger lui-même, non certes qu'il eût pris pelle et fourche et, escorté de Madame en bottes-Dumas, voituré la "chose" en un lieu plus propice, il eût sans doute stipendié quelque manant pour s'en acquitter. Il semblerait que Chantal, fière ou teigneuse au choix, eût refusé. Elle s'est toujours débrouillée seule, sans homme, point! et les "services" parfois se paient cher: de fait, lorsque l'on voit comment les "Opuelents" se targuent de l'avoir autrefois faite monter (l'ingrate) dans leur Jag et même devant, et régalée de leurs restes (plutôt que de les jeter !) caviar et saumon, toujours en nombre lorsque l'on reçoit chic, on comprend ses réticences. Les choses s'envenimèrent : demande, prières, supplications (côté Dame Geneviève), insultes, bousculade d'un membre du Comité de soutien (côté Monsieur).. Monsieur qui peut glisser facilement de la jérémiade à la Feydeau ("Madame de Mur en fait de la dépression" dit-il lorsqu'il est évident que c'est lui qui craque) à l'insulte style "Visiteurs" ("paltoquet, foutriquet") puis, plus vulgos ("bouseux"), jusqu'aux aux menaces type beauf "tu-vas-voir-qui-c'est-Raoul" ("je te le ferai bouffer ton crottin, c.") Goddamned, le rôle n'est décidément pas au point et au fond ça le rend sympathique. D'ailleurs il semble que sa profession certes lucrative, eût été rien moins qu'aristocratique... et même parfois, osons le, plutôt connotée prole voire roms: récup de voitures, casse, ferraille, Chimène, qui l'eût cru ? Ça explique : sous la Jag, le Caterpillar.


Et Chantal perdit procès et crottin dut enlever, ce qu'elle ne fit car têtue elle est et de l'argent elle se fout (il semble que les de Mur aussi, un bon point des deux côtés) si bien qu'avec ses 50 €/jours d'astreinte, elle a à présent ses comptes bloqués. Dans la m.. Le Comité de soutien qui l'aide finit par la persuader de s'exécuter... ce qu'elle fit la mort dans l'âme, mais voilà : en attendant la dalle réglementaire, elle opta provisoirement, faute de mieux pour un emplacement quasiment au raz des fenêtres de Monsieur et de Madame alors à Paris... Monsieur et Madame qui, de retour chez les bouseux, eurent donc la surprise... mais là, c'est légal, rien à dire, permis de travaux et tout le toutim, la loi est quelque chose de formidable... D'autant que selon Chantal, les récentes portes-fenêtres élégantes donnant en effet direct sur la "chose" sont discutables, ouvrant sur une cour sienne ou commune, cela n'est pas encore tranché... mais par contre le droit de passage en bagnole que les Mur s'étaient octroyés... {après s'être eux-mêmes enclavés! un grand classique}, a été annulé. Donc, si cocasse que cela paraisse dans le film, Chantal et son "tas" sous les jolies croisées à imposte sont en fait dans la plus stricte légalité, mais les fenêtres, non. 

Advint alors la Grande Scène du 4, on dirait un scénar un peu chargé, l'aristo parisien, ex baroudeur dit-il, méprisant comme il n'est plus de mise vis à vis du gueux, même que ça fait un peu plouc, avec Madame... à qui il n'ouvre même pas la porte, encore une erreur impardonnable de didascalie...


[un "vrai" l'eût portée jusqu'au seuil quel que soit son poids en prenant garde à ne pas déraper sur la "chose", lui glissant éventuellement une fois rentrée intacte "Madame, voudriez-vous avoir l'extrême obligeance d'aller me quérir la pelle au garage, je suis fort marri de n'en pouvoir m'acquitter comme je le dusse, mes chausses étant par trop crottées?"]... voilà donc Monsieur et Madame au sortir de leur rutilant engin, après trois heures de route au son du menuet de Mozart, découvrant avec horreur... devant chez eux, le "Tas" (et, comme l'observe une jeune suporter de Chantal pleine d'humour et de bon sens : "plus on la remuera, forcément..") façon film de Carné ou plutôt d'Eisenstein, La terre, inspirée de Gorki etc.



Évidemment, le plouc est cruel, surtout derrière sa caméra et tout le monde rit. Lui a tout de même de la répartie "mais pourquoi ne l'a-t-elle pas déposé dans le salon tant qu'à faire?" Elle, par contre, a un haut le cœur, au bord de l'évanouissement, ça fait choc devant les micros mais peut-être est-ce sincère, il n'y a pas de vidéos odorantes et là on ne peut pas se faire une idée. On attend la suite avec une impatience non dissimulée, pour ma part en totale solidarité avec Chantal et ses brouettes qui me fatigue rien qu'à la voir trimer, Chantal qui nous nourrit et qui pollue moins qu'une jag, mais ça se voit davantage, Chantal qui certes semble avoir son caractère mais assumerait-elle tout ce travail si elle ne l'avait pas, ce caractère ? On ne peut avoir le beurre, l'agent du beurre et le cul de la fermière.

Aliénor
La suite : la même chose mais plus "soft" dans le Midi (lien) où les gens, surtout dans les montagnes, sont autres,  ils papotent certes beaucoup, mais de rien : il faut sourire, être "bien" avec tous, feindre de ne pas voir les aléas générés par le voisin, le saluer avec un demi sourire tout en serrant les dents sans manquer de s'enquérir de la santé de Madame. Sous leurs dehors cools, ils sont aussi plus âpres à l'argent, la terre arride, leur passé d'extrême frugalité  (lien)... tandis que dans la Nièvre grasse et herbeuse, on se "lâche" plus, ça fuse costaud, un bon point pour les nivernais et pour le téléspectateur...  quoique les propos sexuels, déplacés et vulgaires de Monsieur "de" sur l'allure de Chantal devant le Maire qui, impressionné, fait sottement chorus (perdant ainsi 90% de ses voix sans doute) fussent inconcevables, du moins devant caméra, dans le Midi d'Aliénor.. Aliénor qui, bien que joyeuse luronne, ce n'est pas incompatible, interdisait tout irrespect vis à vis des dames (paysannes comprises) en actes (le viol étant pratique courante pour forcer un mariage avec une héritière possédant des terres convoitées) ou même en paroles...

Il faut cependant se méfier ; lorsque la coupe déborde, parfois, en ces pays autrefois miniers, les réactions de ces gens aimables et souriants peuvent être... surprenantes... voire explosives.

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Chantal, version Midi Cévennes





 DANS LE MIDI CETTE FOIS

Des paysans comme Chantal (lien) qui nous nourrissent et qu'on met dans la m., le cas est poignant mais banal, décliné sous diverses formes : de même, des  terres fertiles sont accaparées et saccagées partout alors qu'on est en quasi pénurie alimentaire. Plus soft en apparence dans le pays d'Aliénor mais aussi plus hypocrite: des propriétaires de plusieurs hectares débarqués d'ailleurs ou pas, transforment des terrains agricoles en... autre chose de plus rentable immédiatement et perso... ce qui est hélas leur droit le plus strict si la SAFER n'a pas préempté... mais parfois tentent ensuite dans la foulée de privatiser des communs, des chemins notamment qui jouxtent leur propriété, même desservant des villages et cela, non, ce n'est pas leur droit. L'inventivité n'a pas de limites. Pour ne pas paraître trop hors la loi, ils le barrent d'éboulis, de troncs d'arbres, apposent un écriteau "propriété privé" qui prête à confusion, "oublient" une voiture ou un bateau en travers, interpellent  (hard) les promeneurs ("c'est privé") etc. rendant de fait inaccessible des sites magnifiques, des bords de rivière, des lieux historiques...

Jean de Florette, à l'envers : ce sont les aborigènes qui ne peuvent plus accéder, et des privés qui se sont accaparés l'eau et les lieux

... ainsi que des terres appartenant à des indigènes où certains en effet, âgés, n'allaient plus beaucoup (mais d'autres, au contraire, tous les jours).. et à présent, plus du tout, les laissant s'abourir avec les mazets qui vont avec, les héritiers eux-mêmes ignorant parfois posséder une propriété à un endroit "perdu" au sens strict du terme, ainsi que sa valeur si par exemple elle comprend une source qui la rend cultivable, fertile car alluvionnaire, valeur du reste fortement obérée par la difficulté/impossibilité d'accès.  

Ensuite, pour pouvoir  jouir du panorama, il faudra passer par ceux qui se sont accaparé le lieu, moyennant péage (restaurants, hôtels etc..) Tranquilles. Puis ils rachèteront les terres "enclavées" -par eux!- dont plus personne ne voudra. Il arrive aussi que par frilosité ou faiblesse les maires eux-même fassent apposer en toute illégalité un écriteau "interdisant" la sente sans avoir conscience de jouer ainsi contre leurs administrés et de sacrifier le patrimoine de tous.


Ceci dans la consternation mais dans la passivité générale parfois : les gens riches comme les précédents cités intimident, même s'ils sont plutôt marrants. Une forme de colonisation* qui à terme appauvrit et saccage un pays sous prétexte de l'embellir, de le valoriser, de "faire venir des gens", mots magique qui fait vibrer l'élu.  Exemple : des arbres en bord de rivière abattus pour réaliser une pelouse tape à l’œil et une piscine (!) = fragilisation de la digue naturelle, glissement de terrain et inondations en perspective: à terme, la riche terre alluvionnaire partira dans le lit. Nous en sommes tous responsables, par indifférence, fatalisme, hypocrisie (après tout ce sont parfois nos voisins et il est bon d'être "bien" avec tous) ou simplement par notre absence : comme dans la chanson de Ferrat, les jeunes, les forces vives, partent ou sont partis par manque de travail, par mépris pour la terre qui nous a cependant nourri (mal, d'accord, mais du coup on vit vieux) et les parents vendent : par désir d'argent aussi, l'affairisme n'est pas seulement le fait d'"étrangers". Par sottise également car ce bénéfice à court terme conduira à une catastrophe écologique sous peu (et plus vite qu'on ne croyait) donc à la ruine de tous. Les autres s'en moquent: lorsque la menace se précisera, ils vendront et partiront.


Des "mazets perdus, inaccessible, envahis par la nature

Et lorsqu'on s'en aperçoit, il faut rattraper ce qui se peut encore. Pas simple lorsque le pli est pris, jouable, avec pas mal de... disons d'aléas, c'est pourquoi il faut saluer le courage des paysans qui se battent encore avec la bravoure de Chantal et de surcroît, pour nous. Dans le Midi, c'est plus hard encore étant donné la pauvreté de la région : il est mieux pour ferrailler d'être enfant du bled, issu d'une famille particulièrement appréciée et avoir ou se faire quelques muscles. Tout cela seulement pour réouvrir seule, à la pioche, un chemin barré [avec mais ensuite, des potes dont ceux qui étaient les 1ères victimes et ne pouvaient accéder chez eux sans danger.]
http://cheminroque.blogspot.com/


* Les gens du Midi, particulièrement les cévenols sont cependant imprévisibles et leur culture, comme celle de tous les pays de montagnes, change d'une vallée à l'autre. Jusqu'au patois qui n'est pas tout à fait identique. Et dans ces pays autrefois miniers, exemple en 42, il arrive que la résignation stoïcienne fasse soudain place à une révolte explosive qui surprend par sa violence: ainsi les  camisards, les maquisards, le barrage de la Borie arrêté dès l'arrivée du bulldozer explosé le premier jour! (lien) et actuellement la mobilisation contre les gaz de schistes cf la vidéo de Guillaume Vermorel (lien).

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